Dans le cadre de notre dernière interview de notre projet DRAGOM sur la reprise, nous vous proposons une rencontre avec 2 négociateurs des forces spéciales de police, qui interviennent régulièrement dans le cadre de nos accompagnements, sur le sujet de la négociation en situation tendue.
En effet, la période actuelle va provoquer des conséquences économiques désastreuses et des changements dans les relations socio-économiques. Les commerciaux vont donc être au centre de nouvelles interactions avec leurs clients dont certains seront en colère ou en difficulté par rapport à leurs situations. C’est pourquoi, ils devront affronter des situations stressantes sur le plan psychologique et apprendre de nouvelles formes de communication. Voici une interview qui permettra de donner quelques pistes de réflexion et de guider les commerciaux pendant cette période de post-confinement.
Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots en quoi consiste la négociation ?
La négociation, et plus particulièrement la négociation dite « complexe », consiste à résoudre de manière pacifique une situation de crise. Il appartient au négociateur ou à son équipe de construire une relation stable et spontanée, d’instaurer un rapport de confiance et de trouver un accord avec son ou ses interlocuteur(s). Le but étant de trouver une solution optimale pour chacun des acteurs.
Quels sont les principaux médias que vous utilisez ?
Lorsque nous intervenons, nous devons faire face, principalement, à des individus potentiellement armés. La communication en direct demande donc des précautions particulières. C’est pourquoi, il nous arrive fréquemment, par mesure de sécurité, de prendre contact avec nos interlocuteurs par le biais du téléphone ou du porte-voix.
Comme vous, il se peut que de nombreux contacts commerciaux lors de la reprise économique se passent au téléphone ou en visioconférence. En quoi rentrer en relation sans pouvoir voir l’autre est différent d’un contact en présentiel ?
Chercher à créer une relation de confiance avec son interlocuteur, c’est avant tout communiquer avec lui. Cependant, cette communication passe par différents canaux : le verbal, le para-verbal et le comportemental. Nouer un lien au téléphone, sans pouvoir observer son interlocuteur, c’est se priver du canal comportemental. Un grand nombre d’informations, comme celles obtenues lors de l’identification d’une posture, d’un regard et/ou d’un comportement ne sont plus accessibles. Ces informations sont pourtant essentielles. Elles traduisent un état interne global. Nous n’avons donc pas d’autres choix que de nous concentrer sur la communication verbale et para-verbale. Une prise de contact par téléphone ou en visioconférence n’a donc rien à voir avec une prise de contact en présentiel.
Y-a-t-il des avantages à engager une communication par téléphone par rapport à une communication en face à face ?
Oui, bien évidemment. Par téléphone, vous développez d’abord de nouvelles capacités d’adaptation et d’analyses autour de l’auditif. Par ailleurs, être hors de la vue de l’autre a d’autres avantages. Vous pouvez, par exemple, être assisté d’un autre collaborateur en toute discrétion ou, mieux encore, avoir à disposition une synthèse d’informations importantes pour votre négociation (objectifs, renseignements, etc.).
Dans le contexte de la reprise des relations commerciales post-confinement, de nombreux clients pourraient exprimer de la colère (frustration, énervement,…). Comment faites-vous dans le cadre de vos opérations pour engager un dialogue constructif ?
Contrairement aux idées reçues, un bon négociateur n’est pas forcément un bon orateur. C’est avant tout une personne qui sait écouter et maîtriser ses émotions pour percevoir le maximum des caractéristiques de l’autre. Nous appelons cette pratique l’« écoute active ».
Dès lors que nous sommes dans un échange (agressif ou non), se créée une forme de communication qui nous donne des informations sur notre interlocuteur. C’est pourquoi, en premier lieu, il faut impérativement laisser l’autre verbaliser sa colère et exprimer le fond de sa pensée. En règle générale, le client sera par la suite, également, plus à même d’entendre nos propos.
Y-a-t-il des mots à éliminer lorsque l’on rentre en contact avec des personnes dans cet état émotionnel ? À contrario, des mots à privilégier ?
D’une manière générale, il est préférable d’éviter toute formulation à connotation négative. On favorisera, bien sûr, le canal sensoriel préférentiel de notre interlocuteur et on rebondira sur tous les aspects et toutes les émotions positives qu’il peut exprimer.
Il se peut, également, que certains clients expriment un rejet (aversion, mépris,…) de la reprise économique qui serait similaire à l’économie de l’époque pré-confinement. Comment peut-on dans ce cas engager un dialogue efficace ?
Ce serait une erreur que d’essayer de convaincre un client qui exprime un rejet avec un argumentaire personnel.
Les personnes s’appuient, généralement, sur leurs propres expériences. Le client a donc certainement de bonnes raisons de ne pas y croire et d’exprimer son rejet vis-à-vis de la reprise.
Au final, vous vous engageriez donc dans une joute verbale dont l’issue n’a que très peu de chance d’aboutir favorablement.
Autre qualité d’un négociateur : être patient.
Quoiqu’il arrive, il vous faudra faire preuve de patience, voire peut-être même redéfinir vos objectifs. Cela arrive et ce n’est pas forcément un échec.
Dans certains cas, il vaudra peut-être même mieux interrompre temporairement la négociation plutôt que de se confronter à un interlocuteur trop réfractaire.
Enfin, pouvez-vous nous donner quelques conseils pour être dans les meilleures conditions de négociation avec nos clients lors de cette reprise si particulière ?
Dans notre profession, nous évoluons en permanence dans l’incertitude. Pour rester performant, nous avons, au fil des années, fini par adopter une méthode de préparation mentale, nous permettant d’optimiser notre potentiel. Cette méthode est actuellement encore utilisée par de nombreuses unités spéciales, par des sportifs de haut niveau et depuis quelques années par des managers et des chefs d’entreprises.
La préparation et l’anticipation sont parmi les meilleurs gages de réussite. Mieux vous serez préparés, mieux vous pourrez faire face aux situations inattendues. Pour y parvenir, vous devez commencer par modéliser votre réussite. On appelle cela la « Projection Mentale de Réussite ». Attention, n’oubliez pas pour autant d’anticiper de potentiels problèmes et leurs solutions.
Cette technique vous permettra de dédramatiser chaque situation et de programmer positivement vos actions futures.
Ensuite, il vous faut clairement définir vos objectifs de reprise finaux, sans faire l’impasse sur les objectifs intermédiaires. Ils devront être clairs, concis, opportuns et surtout mesurables. Entraînez-vous à prendre des décisions, même pendant une période d’inactivité.
Autre point essentiel, recentrez-vous sur vous-même : développez vos compétences individuelles (formation, e-learning, etc.) et dynamisez votre autonomie. En revanche, veillez également à bien conserver votre lien d’appartenance au groupe.
La gestion de votre sommeil représente également un élément indispensable pour optimiser vos capacités cognitives et physiques. Il vous faut donc impérativement déterminer quel est votre rythme de sommeil, votre nombre d’heures nécessaires pour une bonne récupération. Il vaut mieux avoir des horaires réguliers de coucher et de lever…
En conclusion, apprendre à mieux gérer ses émotions et son stress face à la reprise, c’est tout simplement apprendre à mieux se connaître. Et mieux se connaître permet de progresser…